la maison de ma mère

Publié le par Carole

Il est une vieille dame que nous aimons à visiter.

Elle est toute défraîchie maintenant qu'elle a tant vécu. Toutefois elle conserve l'aspect délicat du luxe passé. Cela la rend d'autant plus émouvante qu'elle vous accueille sans façons, dévoilant à chacun de ses traits ses particularités fanées.

C'est la fragilité de ses décors d'un autre temps qui frappe le visiteur au premier abord. Il verra vite qu'il ne faut point s'y fier : sous le grand âge aux charmes désuets, c'est une force tranquille qui se dégage. C'est ce qui fait la différence : on se sent chez elle en sécurité. Les éléments peuvent se déchaîner (et ils ne se gênent pas, dans ce coin-là !), rien n'émeut la vieille dame qui en a vu d'autres, va ! En réponse au vent qui déferle, elle nous joue un air de piano ou fait résonner les pas qu'elle a autrefois dû chérir. On entrevoit le faste d'alors, les joyeuses réceptions campagnardes, la famille de musiciens qui lui a laissé un peu de son âme, les troupes d'enfants courant dehors comme dedans, au grand dam des domestiques qui résidaient alors à demeure.

Les enfants sont presque tous grands maintenant et tout le monde a fini par déserter les lieux... c'est ça, la mobilité. Seuls quelques ancêtres restent attachés au lieu de leurs racines. Et elle reste dignement, fidèle à jamais à ceux qui l'ont laissée derrière et dont les initiales continuent d'orner son entrée.

Elle a le temps de raconter, à présent.

 

Tout parle, des moulures aux tapisseries, du plancher inégal à l'installation électrique de fortune. Les travaux auraient dû être déjà terminés, depuis le temps... mais la vieille dame hésite encore à passer à autre chose. Il lui faut le temps de la transition, de  transmettre ce fabuleux vécu... Puis elle laissera les nouveaux arrivants lui donner l'aspect du présent. Petit peu par petit peu. Dans le fond, cela ne changera pas grand-chose. Il sera juste plus facile d'y laisser courir les miriades d'enfants d'une autre famille, toute aussi grande, toute aussi gaie. Plus simple d'y préparer les banquets, plus commode d'y abriter le sommeil d'autres visiteurs lointains.

Il lui faut juste un peu de temps. C'est bien compréhensible, à son âge...

Publié dans les yeux ouverts

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