l'écrivain

Publié le par Caco

Son nom apparaissait sur une liste de contacts, élément phare d'un réseau tissé avant que je n'arrive, et l'on m'avait chaudement recommandé de l'appeler pour lui proposer un lieu de conférence. "Tu verras, il a toujours un thème à partager, tu peux l'appeler tous les ans, tu verras..." Et j'ai donc appelé, pour voir. D'une voix posée et de ses mots triés sur le volet, il m'a proposé un sujet qu'il a qualifié "d'actualité". Je me suis retenue de pouffer de rire quand il m'a parlé du 120ème anniversaire de la naissance de la poète dont il proposait de raconter la vie. Une poète du cru morte il y a "juste" 64 ans...
Mais il est des gens à ne pas froisser, des habitudes qui ramènent du public, une ouverture à conserver. Et puis j'ai bien survécu à l'exposé sur les cimetières protestants, qui nous a en outre valu un pic de fréquentation. Alors allons-y pour "l'actualité" littéraire locale. Ca me fait un peu mal au passage, sûre que je suis de l'existence d'écrivains bien vivants sur ces terres, et sûrement non reconnus, en train de ramer à contre-courant.
Mais la dame était Occitaniste, et il y aurait peut-être, dans les souvenirs poussiéreux de sa vie, deux ou trois vers pour me faire vibrer. Moi qui n'aime guère la poésie... Le monsieur est donc venu pour parler d'elle. Et avant qu'il ne parle d'elle, il a fallu que je parle un peu de lui. Un petit discours de présentation du conférencier, c'est peu de choses pour le remercier de mettre son savoir au profit de notre public. "Je dois vous présenter en quelques mots, voulez-vous me parler un peu de votre parcours ?". Il m'a donné ces quelques mots, et ils sont tombés comme une musique dans mon oreille : journaliste, écrivain, biographe. Les yeux baissés, j'ai noté, puis je l'ai présenté, et enfin je me suis sagement assise au fond de la salle, comme toujours au début des conférences, m'assurant du bon fonctionnement technique et logistique.
J'aurais dû me lever au bout de quelques minutes mais je n'ai pas pu. Le discours était fluide et précis, puissant et sensible. Cet homme semble parler comme il écrit. A moins qu'il ait encore plus de talent au bout de la plume ? Il faudra que je vérifie.
Et en plus il a parlé de cette femme. Louisa Paulin. Sa vie hors époque, le triple drame de sa maternité, son divorce, son exil volontaire, sa vocation au milieu de la maladie, ses échanges épistolaires. Il a ponctué son discours de quelques poèmes, et les larmes me sont montées aux yeux.
Mais d'elle, je parlerai plus tard.
J'ai chaudement remercié le conférencier, encore émue de ce moment vécu comme une double rencontre.
D'un fil de conversation à l'autre, une prochaine date s'est dessinée. Une belle idée, j'étais soudain enchantée de cette actualité littéraire locale qui nous permettrait de parler encore, et d'écouter, ses mots à elle, ses mots à lui.
C'était au mois de mai.
Deux saisons plus tard, il est revenu en grande compagnie. Une troupe au verbe un peu fier, parlant trop haut en écoutant sonner ses propres mots. Snobisme honni de la culture, particulièrement malvenu le jour où Louisa Paulin nous réunissait, elle qui n'usait dans son art que des mots simples et honnêtes du quotidien.
Après la conférence, la même sensation d'urgence à lui parler, et ma bouche qui refuse de me trahir. C'était un chouette rendez-vous, un partage entre passionnés mais pas le moment de grâce que j'espérais revivre. Peut-être parce qu'il n'était pas seul à parler - on ne choisit pas ses cordes sensibles.
Entre deux sollicitations - le monsieur a sa petite célébrité, qu'il ne semble guère entretenir, tout en simplicité - c'est encore lui qui m'a proposé une autre rencontre littéraire autour d'une autre femme qu'il a jadis connue. Et d'en reparler par téléphone. Une conversation qui s'est échappée très vite du cadre du travail pour rompre tous bâtons. Echanger sur d'autres conférences qu'il a animé et auxquelles j'ai assisté pour le journal. Continuer par justifier avec pudeur son attrait  pour les écritures féminines. Me voir embrayer sur ma propre écriture, sa source, son élan, et ce lien tendu avec ma condition de femme. Et lui dévoiler celle de blogueuse à temps perdu...
(Pas mal du tout, pour celle qui creuse toutes les tranchées possibles pour veiller aux frontières entre le monde de son travail et celui de son blog !)
Il m'a encouragée avec un entrain tout en bienveillance. Saluant la justesse de ce que je lui avais décrit juste avant.
Je n'en ai retiré aucune fierté, je n'ai pas plus essayé de flatter son ego en retour. C'était un échange à coeur ouvert comme j'en connais rarement avec les inconnus. En raccrochant, la même joie tranquille de nous savoir bientôt discuter ensemble, même rapidement, même pour régler des questions techniques. Il y a un fil mystérieux qui semble se tresser ; nos mots qui se rencontrent échappent aux convenances et empruntent des raccourcis connus d'eux seuls pour trouver d'instinct le chemin de l'authentique, de l'essentiel.
"A bientôt, alors."
"Oui, à bientôt !"
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N
j'attends déjà la suite avec impatience
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C
<br /> Moi aussi N-talo ! :)<br /> <br /> P'titcrobard, dans ce métier j'ai la chance de rencontrer des gens pleins d'histoires !<br /> <br /> <br />
L
Une belle rencontre, une belle surprise... Ca fait du bien, parfois, après la traversée de paysages moins amènes !
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