et que volent les plumes

Publié le par Caco

Ce matin-là, le bitume ne gardait pas trace de la neige qui s'était arrêtée de tomber la veille au soir, à la tombée de la nuit. Le ruban noir défilait sous les roues de la voiture, dans le défi joyeux des minuscules flocons gelés qui persistaient à danser autour du pare-brise. Elle était soulagée, la voie était dégagée. Elle serait un peu en avance à ce troisième rendez-vous ; comme ceux qui l'avaient précédé, il traçait la ligne de nouvelles habitudes sur un quotidien qui se précisait un peu plus à chaque fois.
Son lieu de travail défila sur sa gauche, elle entrevit sa silhouette large et floue dans son champ de vision sans ressentir le besoin d'y jeter un regard. "Pas surprenant", se dit-elle dans un sourire. Ce bâtiment-là n'abriterait bientôt plus que des souvenirs. Elle en formula le voeu secret, avec une pensée pour le bureau qui l'attendait, de l'autre côté de la colline. Et c'était comme un élan qui la poussait toute entière avec son véhicule entre les maisonnettes trapues du hameau que déjà, elle dépassait. Les courbes douces de la route, les terrains boisés, le sommet de la colline et la maison de son amie, la descente entre les champs... Les paysages délicatement pelliculés de neige semblaient avoir volé la lumière du ciel gris et indifférent.
Bientôt elle intègrerait son poste pour une intense journée d'activités éclectiques, de celles qu'elle aurait dites chargées ou difficiles, dans un autre lieu qui l'avait autrefois attirée comme un aimant et auquel elle n'avait plus envie d'accorder un regard. Il y aurait des soubresaut, peut-être, il y en a déjà eu d'ailleurs. L'amitié des personnes rencontrées là-bas finira par adoucir les réminiscences aigres de ce passé-présent - un temps qui ne s'accorde avec rien, dans son mode de fonctionnement. Et puis, les angles qui la blessaient s'émousseront bientôt au passage du temps. Parfois elle croira peut-être revivre, en tremblant, un épisode de ce film, comme si les personnages traversaient l'écran pour entrer dans son monde de spectatrice jusque-là  plongée dans la contemplation silencieuse du spectacle. Elle reviendra dans un sursaut à son présent palpable et rassurant.
Le salut souriant de ses nouvelles collègues la ramena doucement à l'identité en acquisition de sa nouvelle fonction. Elle glissa jusqu'aux dossiers sagement posés sur son bureau et commença à dénouer les fils juridiques des contentieux en cours. Son esprit ravi de l'exercice qu'elle n'avait plus pratiqué depuis de si longues années. Elle ne pensa plus à la neige, elle oublia l'avant trop présent.
Bien plus tard, un correspondant lui rappela les blanches précipitations. Elle se leva et s'approcha de la fenêtre. Le vent ne soufflait plus et les flocons agglomérés tombaient, gros et lents. Ses pensées matinales lui revinrent en même temps, avec l'impression de voir tomber les plumes du lit d'un vieil amant, après un tumultueux et ultime déchirement.

Publié dans les mille et une...

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N
<br /> ... on se fait un thé ensemble un de ses jours les filles ? bises<br /> trés beau texte , ça valait le coup, ne rien regretter, vivre avancer, expérimenter, vieillir<br /> sérénité<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Mema : Oui il s'est passé 2-3 petites choses depuis Toussaint ;)<br /> Gros gros bisous à vous !<br /> <br /> N-talo : Un thé, bonne idée ! quand les chemins auront dégelé ?<br /> (et merci)<br /> <br /> <br />
M
<br /> Je t'embrasse... faut qu'on s'apelle! Meilleurs voeux.<br /> des bises<br /> <br /> <br />
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